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face au vent-avel a benn
16 octobre 2007

et.. tant d'émotion...

J'écris en pleurant...
Non, tout va bien! C'est simplement la vie qui déborde...

Journée intense.
Comment vous raconter? Ce qui est intense, c'est la sensation, et la sensation ne s'écrit pas.

Hier soir, j'ai du m'endormir à 22h30. Malgré les horaires, la fatigue, je n'arrive jamais à dormir avant.
Alors quand le réveil sonne à 3h30, se lever est toujours difficile. Mais rapidement la vie me pousse en avant.

Brouillard dense, je conduis le nez sur le pare brise.
Malgré l'épuisement, et les après midi en état semi comateux, j'aime commencer à 4h30.
Je suis seule face à la machine, et la complicité se fait forte. Je n'aime pas écrire "face à la machine", car cela sonne comme une confrontation.
Celui qui part au travail en sachant que pendant 8h il va fabriquer la même pièce, comme la veille, et comme le lendemain, en pensant: "quel enfer", ou alors "je t'aurais saleté, je suis plus fort que toi", a perdu d'avance. Perdu quoi? 8h de vie...

Comme hier, et comme demain, je me suis retrouvée devant une pièce d'acier traité, à tourner, à une cadence infernale.
Je sais désormais à quoi servent ces pièces. Je ne donnerai pas d'explication ici parce que le patron traque  les espions (ils nous demande un extrait de casier avant de nous embaucher!! :-))
Pour vous donner une piste, sachez que ces colis partiront vers un port du Golfe (perce-hic), et que chaque pièce ne sera qu'une humble et misérable partie d'une immense machine destinée à tirer du brut, le dieu qui alimente nos cacatres, et surtout le portefeuille des Emirs du pays. Leurs cacatres (4X4 pour ceux qui pigent pas) sont immenses, je n'en ai jamais vu d'aussi gros... Au plus je me rapprochais de la frontière (svp, c'est où dites?) au plus ces bagnoles grossissaient...

Revenons au travail.

Le collègue de nuit a sorti 269 pièces en 7h30. Je ne désire pas faire un concours. Mais ma machine et moi, on va jouer à un jeu...
Ce n'est pas un défi, ni une lutte. Nous jouons. Elle est farceuse, et je m'attends à quelques coups vicieux...
J'ai envie de sortir 300 pièces. Si je réussis, je ne dirais pas "j'ai gagné". Nous aurons joué, elle et moi.
Après un chrono pendant une pièce je me rends compte que je peux aller encore un peu plus loin. En comptant les pauses maintenance de la bête (changement des outils usés), je peux tirer jusqu'à 315 pièces. Estimation maxi.
Pour y arriver, il ne me faut pas me relâcher une seule seconde. Ce n'est pas un travail difficile, c'est le rythme qui l'est.

J'apprends que le client va venir contrôler notre travail, et voir pourquoi sa commande de la semaine dernière a trainé. En fait, plusieurs entreprises se sont déjà cassé les dents sur leur acier, trop dur à travailler.
Quand il sera là, on me demande de "baisser l'avance", c'est à dire la vitesse à  laquelle l'outil travaille, histoire de montrer qu'on ne peut pas aller plus vite qu'une certaine cadence...
En fait, il s'en foutra royalement.. Il me serrera la main, grasse à souhait, regardera le mode opératoire, et repartira blablater avec le patron.

A 8h le régleur arrive. Vite! Nettoyer les machines, passer le balai avant que le client ne débarque.. Prends 5 minutes il me dit.
Non non... je passe le balai pendant que je tourne, je nettoie les machines graisseuses, mais je garde le rythme.
A force de pivoter au  niveau du bassin je sens mes abdos devenir douloureux, et je souris: en bossant, je me muscle!

Ma machine a décidé de marcher main dans la main avec moi. Tout baigne. Pas dans l'huile, pour une fois! Ces pièces nécessitent des outils particulier (céramique) qui usinent à sec. Les copeaux d'acier bleuis giclent, portés au rouge...

De temps en temps, je cours à l'étage, descend un carton, relance une pièce, scotche le carton, cours chercher une palette dehors...
Mais à l'oreille je sais quand la machine a terminé, et j'essaie d'être toujours là pour saisir la pièce, alors que les mors ne l'ont pas encore relachée.

Mon collègue me dit: tu peux souffler 2 minutes... Non non... j'en ferai 300, je finis par dire en rigolant.
De temps en temps un chef passe prendre des nouvelles, et pose des questions du genre: temps de cycle, nombre de pièces à l'heure, pièces déjà faites, combien en manque il encore, combien exactement dans le carton etc...
J'aime aussi faire travailler mon cerveau pendant que mes bras s'activent. Je sais toujours répondre, et je lis sur leurs visages que je dois assumer grave, même si ils ne le disent pas.
Par contre, quand ils vont me demander de bosser samedi, là, ce sera une autre histoire...

J'ai l'impression de faire une épreuve d'endurance. C'est l'endurance qui va déterminer le nombre final, pas la force physique, ni les années d'expérience, qui chez moi se réduisent à 4 semaines.
Il faut de la dextérité, de l'organisation, et de l'endurance. Et certainement un petit peu plus... Aimer sa machine. çà ne fait pas travailler plus vite, mais çà porte plus haut.

Le régleur me dit: "ce soir je vais aller courir un peu..."
Et je réponds: quand je commence à 4h30, je ne peux pas aller courir l'après midi après la sieste, je suis trop mal.
Et en rigolant je rajoute: je n'ai plus qu'à aller courir à 13h en rentrant!
Il émet des doutes (justifiés): avec les jambes lourdes, les bras en compote, les pieds qui ont piétiné dans des godasses de sécurité pendant 8h..

Les heures passent... A la pause, que je prends à 10h30, je suis à 250 pièces, soit exactement 42/heures, sur la base exacte des 315.
Il est impossible d'en faire plus, la machine a besoin d'être bricolée de temps en temps, et courir monter des cartons, çà fait perdre du temps! . Le chiffre absolu (sans un quart de seconde d'arret serait de 330).
Pendant la pause, j'ai comme une conscience aigue des choses, et des mouvements. Un brin d'herbe qui bouge, une voiture qui passe, tout me pénètre intensément.
Je suis heureuse d'y retourner.

Les 300 sont dans la boite... Je souris de plus en plus, la ligne d'arrivée est en vue, et je n'ai pas vu du tout les heures passer.
314eme pièce... Le premier côté sort mal usiné. L'outil vient de lacher... Clin d'oeil de la machine qui s'esclaffe en silence...
Presque Midi 25... 5 minutes encore!
Le régleur change la plaquette rapidement. Je remets une pièce avec délectation. 315.
Midi 29... Tu as bien joué, je lui dis en silence, et j'ai même aimé la panne de la dernière minute, rien que pour me faire rire...
Je lui donne à manger la 316eme... Na.

Dehors, il fait beau, le brouillard se lève enfin.
Rentrée chez moi, je sais ce que je vais faire. Ne pas lutter contre ce désir, je dois le faire.
Je me lave les mains et le visage. Je ne mange pas, je ne bois pas.
J'enfile un survet, et mes baskets, et je pars courir.
Les jambes sont comme 2 enclumes, les pieds douloureux, les épaules en compote, et le dos en vrac. J'ai du mal à garder les yeux ouverts.
Mais je sais où je vais, et je dois y aller.
J'ai soif de lumière, et la lumière est assoiffée.

Avant de partir, dans la cuisine, j'ai vu la lumière filtrer à travers les volets roulants baissés. (mon fils part à 7h50).

DSCN1009

Et sur la table, cela dessinait ceci:

DSCN1005

Et ces lacs de lumière, si ronds, sur ma table... Je les ai regardé avec amour.
Pendant que je roulais vers la maison je savais où je devais aller.
A 15min de course de chez moi (en mode gros tas, c'est à dire au ralenti) il y a 2 étangs minuscules.

Je cours, je me traine, çà descend, tout à l'heure je vais galérer pour rentrer.
Je contourne le premier étang, évite de me prendre les pieds dans les ronces, et file vers le deuxième.

Arrivé là, le soleil a décidé de me priver d'eau dorée.
Quand il traverse les arbres l'étang devient or, et la lumière y est extraordinaire.
Il a suffit que j'ouvre la porte et que je sorte de la maison pour que les nuages s'entassent.
Mais je sais que je devais venir ici. Un appel.

Je m'accroupis près d'un vieux chêne, dans les broussailles.

DSCN1010

Les couleurs sont ternes, rien n'éclaire l'étang.
Pourtant, je ne me dis pas "pourquoi es tu venue ici". J'attends.

Soudain, de la gauche traverse un éclair de lumière métallique. Je ne bougerai pas l'appareil photo.
Un flèche bleue vif, et rouge brique. (un martin pécheur) Une seconde de lumière, qui se pose sur une branche, puis repart.
La lumière me donne à boire, et elle me boit tandis que je la bois.

En moi, l'étang d'amour déborde.
Je tombe à genoux...


Je n'ai pas dormi cet aprem, ni mangé à midi.
A 17h, ma fille a trouvé un colis dans la boite aux lettres.
Un colis qui s'était égaré, une inversion de 2 chiffres dans le code postal, qui l'a envoyé à l'autre bout de la France.
Parce qu'il le fallait, c'était logique...

Ce qu'il contient est énorme... Je ne vous en parlerai pas, car personne, mis à part celle qui lui a envoyé ne comprendrait.

Oui, énorme...

Cette journée était énorme... Toute en reliance, en vibrations, en lumière.
Merci.

De l'argile nous avons fait un pot, mais c'est le vide à  l'intérieur qui retient ce que nous voulons... (Lao Tseu)

Le vide est infini, et nous aussi...

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Commentaires
A
Un petit moment de grâce... <br /> Tu ne serais pas un peu blindée, aguerrie aux chocs, toi, hmmm ?
I
ah exact, je pensais qu'il ne t'étais pas adressé!!! désolé, le contenu dans ce cas, ne nous regarde pas effectivement!!!!! ce serait fortement indiscrêt.....<br /> "le maillot de vélo", excellente idée bien sûr!!!<br /> bon courage pour cette nouvelle journée
L
je n'avais pas répondu à ces comm non plus...<br /> <br /> courir avec l'appareil?<br /> c'est vrai qu'il est assez lourd par rapport à mon ancien, l'appareil de Jipes :-))<br /> mais il rentre avec sa pochette dans la poche arrière d'un maillot de vélo, même si c'est génant et encombrant. vu que je me suis trainée, çà n'était pas grave.<br /> <br /> Quand au colis, certains n'ont pas compris non plus:<br /> il était bien adressé à ma fille, c'est l'expéditrice qui s'est trompé dans le code postal et qui l'a envoyée en haute marne au lieu de morbihan, il nous est parvenu avec 2j de retard.<br /> <br /> quand à son contenu.. je n'en parlerai pas.<br /> çà ne s'explique pas, c'est juste une question de reliance. :-)<br /> <br /> bon, c'est pas tout, mais faut que j'aille bosser moi!!!!!
I
...que de questions restées sans réponse!!!! <br /> effectivement on s'interroge sur la réaction des autres ouvriers, et des "chefs", comment tu fais pour courrir avec l'appareil photo???, et surtout qu'y avait-il dans le colis????bouhhh j'ai pas deviné......<br /> <br /> mais par dessus tout, fais gaffe à toi, ta santé, chaque jour, je viens voir comment tu vas!!! j'ai le coeur lourd quand tu ne vas pas bien et je n'écris pas toujours de peur que mes paroles ne soient pas le reflet de mes pensées ou soient interprétées différemment......surtout ne pas blesser...<br /> et là, super, fidèle à toi même, tu as su trouver la force où il faut pour resister, pour t'adapter, "petit caméléon du net"......j'ai beaucoup d'admiration pour ton courage, tu nous donnes de bonnes leçons de vie.....<br /> <br /> ....voilà pourquoi tu es loin d'être "minuscule"....car quelqu'un comme toi, qui écrit avec autant d'authenticité, qui partage ces instants de vie, sans limite......est tout, sauf "minuscule", <br /> tu es tout simplement, Laouen......et c'est super!!!!<br /> <br /> pokoù
D
Pas de lumière terne sur l'étang... cette luminosité blanche autour des feuilles du chataîgnier les fait ressembler à des morceaux de vitrail...
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