Kreiz ar vro
Le jour se lève. Le vent s'est un peu calmé, mais la pluie redouble de violence
Ce n'est pas une vraie tempête. Le mot "tempête" est employé pour des vents de plus de 100km/h.
Ici, 100km/h, c'est... quasiment rien. Non, quand même pas. Disons... un beau coup de vent.
Le jardin est recouvert d'une bouillie de fleurs de glycine, et de feuilles de chêne.
Un week end abominable, digne du pire des hivers, mais...
Ici, çà n'empêche personne de sortir.
La preuve hier, du côté de Morlaix, où j'ai vététisé dans un enfer de boue gluante.
D'où le terme vtt: Visage Tout Terreux
ou Vetements Très Tachés
Oui, un enfer. Surtout quand on a l'énorme tendon qui passe derrière le genou qui est claqué...
Un enfer, disaient tous les concurrents en choeur... Un léger sourire aux lèvres
Voire même un début de lueur démente dans le regard...
Un enfer. Et nous étions là...
De là à chanter "na na na na nère" il n'y a qu'un pas... que chacun a franchi en silence, se promettant de revenir l'année prochaine.
Vivement Novembre, qu'il fasse beau... Niark Niark
Et oui
Ici, c'est Kreiz ar Vro
Le centre du pays, le pays du centre, enfin bref, loin des côtes.
Et ici, les plus faibles s'en vont. Comme les arbres les plus fragiles se couchent, pour ne jamais se relever.
Amis touristes, vous aimez les plages calme, la douceur, la volupté
Les mignons Penty entourés de sages bordures d'hortensias
Les jardins qui croulent sous les fleurs
Les paysages d'appellation "carte postale controlée"
Passez votre chemin
Car ici, il n'y a... RIEN
Ici, le vent use
La pluie dilue
Le froid humide pique en hiver
Rouille les articulations
Ici, même à l'intérieur, la tempête fatigue
Ici, nulle place pour la douceur. La vie n'est qu'une bataille constante.
Une seconde d'inattention, et tu perds...
Ici, pour accepter ce climat, il faut y être né
Ou bien, avoir "un grain", comme ceux qui te noient
14 ans que je pratique
10 ans que j'y vis
Fille du Sud, échouée sur les crêtes.
La route noire, lavée et relavée traverse les Monts d'Arrée.
Ici, il n'y a rien.
Des étendues vierges, jaunes, rouilles...
La terre est trop acide pour se couvrir de vert
Et la pluie trop salée
Ici, point d'arbres. Seuls quelques buissons chétifs s'agrippent aux cailloux
Ici, la terre est fine. La roche l'a dévorée
Ici, il n'y a rien.
Sur la gauche, le lac Saint Michel se bat contre les marécages
La silhouette du réacteur de la centrale défie le ridicule
Sur la droite, les roches acérées du Roc'h Trevezel. Verticalité du néant.
Les nuages trop noirs défilent à fleur de rochers
La voiture tangue sous la bourrasque.
Ici, la beauté est ailleurs.
Elle est dans ce coup de poing que tu prends en pleine gueule
Elle est dans cette relation ambigüe qui te lie à ces pierres
Elle est.
Parce que cette terre rude est
Parce que, toi, secoué, remué, mais griffant le sol de tes ongles, tu es aussi.
D'ici.
Et toujours, comme une récompense
Un minuscule trou de ciel bleu se pose, en suspend sur le déluge
Le soleil le traverse
Les bas côtés s'illuminent
Le vert tendre des fossés devient fluorescent
Tandis que les herbes roussies se chargent d'or
Et toujours, comme un aveu d'amour
Les larmes coulent
Comme il y a 10 ans, comme aujourd'hui.
Kreiz ar Vro
Et aussi. Mon centre.
Il est facile d'aimer Bénodet en Juillet, mais les Monts d'Arrée en Janvier?
Les mouettes de Saint Malo en Août, c'est si couleur locale, et mes petits piafs luttant sous le vent mauvais?
et même plus loin...
La Lozère en été, agréable! et l'Aubrac en Février? c'est moins évident.
Plus facile de s'extasier sur le Mont Blanc au soleil, que sur les Vosges trempées des pluies d'octobre.
Oui, la beauté est ailleurs.
Elle est dans ce qui se ressent, et non ce qui se voit.
Dans la force si intimement mélée de fragilité de ce pays rugueux, qui déchire, arrache, et qui pourtant...
Donne.