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face au vent-avel a benn
15 juin 2008

48

Me revoilà. Quand j'ai quelque chose à dire,  j'ouvre la page de ce blog. Sinon, je me tais. Si le silence est plus beau que ce que tu as à dire tais toi, il disait (je ne sais plus qui d'ailleurs)...

48? Pourquoi? Comme çà.... Disons que c'est un chiffre qui me motive actuellement.

Je tiens à préciser que naturellement tout ce qui va suivre pourra être retenu contre moi, et que comme d'hab, 99% de ceux qui liront ne verront là dedans qu'une manifestation pure de masochisme, doublée d'un gout de la persécution (par soi même), et d'une folie certaine.
Qu'on se le dise: pensez ce que voulez...
Il est des choses inexplicables, et ce qui fait courir (ou marcher) Laouen en fait partie.

Un an...
Voilà un an déjà, que je m'étais alignée sur la ligne de départ de ce trail de 35km, totalement par hasard, et sans aucun entrainement.
Rappelez vous: j'avais arrêté totalement la course à pied depuis des années, et sans savoir pourquoi, j'étais allée courir dans le camp de Coëtquidan, un samedi de juin, suivant les balisages. Courir 3h. Une folie, pour qui n'a pas l'habitude de courir. Bien sur, je m'étais arrêtée longuement et régulièrement, et pour manger, et pour boire, et pour prendre des photos.
Le lendemain matin, tôt sur internet, j'avais tapé je ne sais plus quelle recherche idiote, qui m'avait fait découvrir que le trail se courait... 35min plus tard.
J'avais remis mon short mouillé, mes chaussures trempées et pleine de boue, et j'avais foncé jusqu'à Guer, m'inscrivant à 8h58 pour un départ à 9h.
35km de galère, jambes de plomb, mal aux pieds, mais loin, très loin au dessus de la boue, tout en plongeant dedans.
Pluie forte, bourbiers côtés collection.
Au km 20 un légionnaire préparant une "petite" course de 175km était au ravito. Voyant ma detresse, il m'avait accompagnée, physiquement et moralement, jusqu'à la ligne d'arrivée.
Moralement, j'étais loin, loin au dessus de la douleur. HEUREUSE. Je l'avais fait. Je n'étais pas fière vu le temps, mais je l'avais fait.
J'avais dormi la veille, pas stressée car je ne savais pas que j'allais en compet le lendemain! Je n'avais quasiment rien mangé, et surtout que des saloperies, mais cet espèce de folie pure qui me poussait à recourir me portait très très haut.
Les 10 derniers km avaient été un calvaire, je marchais en côte, je trottais en descente.
4h30 pour 35km, une honte...

Je m'étais dit: tu vas t'entrainer dur, et l'an prochain tu feras 3h45 maxi, tu peux le faire!
Mais c'était sans compter sur le fait que j'ai trouvé un job..
Et que ce job m'a ruiné la vie, et la santé.

Vendredi aprem, par exemple, je n'ai pas pu travailler. La vapeur acre qui sortait du tour me faisait tousser, et faire des efforts pour vomir.
Alors mon chef a décidé de vidanger la  machine, c'est à dire de faire couler toute l'huile de coupe, de démonter le bac, la pompe, etc.
Une aprem de boulot.
Laouen, à genoux dans la merde, a remué de la vase pendant des heures.
Vous ne pouvez pas imaginer ce que c'était, faut avoir bossé là dedans pour savoir. Un an de dépôt gras, au fond du bac du tour, un an de boue puante, à côté de laquelle un chiotte pas lavé depuis 6 mois fait figure de salle d'opération 100% désinfectée.
Des kilos de boue, les bras qui tremblent tellement c'est lourd, des copeaux mélangés à je ne sais quoi, du liquide blanc à la base, qui coule marron foncé, çà gicle, çà gicle, çà pénètre dans les coupures de mes mains à travers les gants.
C'est plein de bactéries.. Le liquide est chaud, les bactéries s'y développent, c'est connu dans le métier.
Quand on voit l'état des filtres, on se dit: çà fait des mois que je respire çà MOI AUSSI.
Ensuite, j'ai tout lavé au karcher. Et çà giclait, çà giclait.. Trempée, recouverte de taches noires, sur mes mains, mes bras, mon bleu, mon visage, jusque dans la bouche. A vomir. Mais je n'ai rien dit, rien.
Je comprend pourquoi je n'ai plus de souffle, pourquoi j'ai mal à la gorge tous les jours, pourquoi je n'avance plus dès que je fais du sport.
Depuis mon opération de la thyroïde, je ne récupère plus, le coeur ne redescend plus à l'arrêt de l'effort. Les cachets m'apportent ma dose d'hormones, ok, mais en bloc! C'est la thyroïde qui régule tout, et pas seulement le matin au réveil quand j'avale le cachet!
Et je n'en ai plus.
Alors avec ce job, mes poumons encrassés, les vapeurs de cobalt (cancérigène), et ces horaires à la con qui  me font bailler 24h/24, je ne fais plus de sport. Et quand j'en fais, je me traine.

Dans ces conditions, sans aucun entrainement (à part 30min de trot de temps en temps depuis 15j), c'était une folie pure d'aller courir à Coet ce matin.
Mais qui dit folie dit Laouen...
Et Laouen aime Coët.
Et encore une fois (je me répète) LAOUEN N'AIME PAS SOUFFRIR.
La course, c'est une élévation. Ensuite arrive la douleur, et y résister est une élévation aussi.

Hier soir j'ai du m'endormir à minuit, après avoir avalé 2 cachets! Je ne supporte pas la compet.
Je suis la femme des très longues marches, des longues courses, AVEC moi même, et sans chrono.
J'avais un peu du temps (la météo), mais j'étais rassurée en entendant la pluie sur le vélux.
Le temps était merveilleux! Comment aurais je pu me plaindre?
En début de semaine, à l'atelier, nous étions obligés de nous mouiller le visage régulièrement, pour éviter la surchauffe. Sous les tôles, on bout. Et les machines sont brulantes.
En été il fait plus de 40 là dessous, et on n'enfile pas des perles, on bosse dur.
Autour de moi, çà grince... Tous pensent à ces "mecs de bureau" qui se plaignent, alors qu'ils sont assis, ont la clim, et gagnent bien plus que nous. Et ne se lèvent pas à 3h30 du mat, bien sûr...
Quand mon chef râle, et me demande si je tiens le coup face à la chaleur, je lui dit une phrase, qui contient un chiffre, une heure, un lieu.
Le silence se fait. Il comprend qu'il est inutile d'en rajouter, et il comprend ce qui me fait tenir.

Alors ce matin, bruine fine, 13 degrés maxi, comment aurais je pu me plaindre?
Je suis partie derrière, j'ai tenu 1/4h avec un groupe, puis j'ai laissé filer. En point de mire un homme, que je ne quitterai pas, mais je n'aurai jamais la force de rester à ses côtés.
Quand on fait toute la course seule, avec pour compagnon le "vélo balai", çà use le moral. Le cycliste a beau être bel homme, çà  mine.. :)
Alors on fait quoi? On arrête le sport?
Non. On se dit: bordel de merde, je bosse à l'usine, je n'ai pas de vie, je dors peu et mal, je me traine, mais l'an prochain, juré craché, tu ne seras pas ridicule comme çà!

Je vais prendre du plaisir pendant 15 ou 16km, allez, peut être 18.
A l'amorce de la grande Bosse, tout se casse. Je ne peux plus courir. Une douleur terrible sur le dessus du pied, un nerf, un tendon, un muscle, je ne sais pas... Je ne dis rien. Le cycliste voit que je souffre, mais je ne dis rien: ne pas en rajouter, je suis ridicule, je ne me cherche pas d'excuse, et pourtant j'en ai.

Dernier ravito, km 22. Je prends le temps de souffler, de manger, de boire, de discuter.
Ils, enfin, elles surtout, me reconnaissent toutes!
Je suis LA FOLLE qui a osé s'inscrire sur un 35 (donné pour 30) l'an dernier sans entrainement.
Et je recommence...
Je salue tout le monde, j'aime remercier ceux qui m'encouragent.
Et tout à l'heure, quand les premiers gars du 18km m'ont doublée, ils m'ont tous encouragée. Et çà... C'est immense. Si vous saviez!

Tu es dernière, ridicule, tu te traines, et ils te disent "c'est bien, courage".
Et là, au lieu de péter un plomb et de dire "mais bordel de merde non c'est pas bien, je suis HS, j'avance pas", tu dis merci, car tu le penses très fort.

A ce moment, je courrais encore. Mais là, je ne cours plus.
Je traine les pieds en descente, et marche le reste du temps.
C'est quoi, le temps pour un trail en marchant? En marchant normalement hein, pas comme marche ma fille!
Je voulais faire 4h, c'est compromis.
Devant moi, en point de mire, le gars n'est pas mieux, mais il a quelques centaines de mètres d'avance, et je ne reviendrai pas. Pas à pieds.

J'en peux plus... Plus du tout.
Mais dans ma tête, comme toujours, cette chanson (rien à voir avec le sport) de Kate Bush et Peter Gabriel. Don't give up...
Cos' you have friends, qu'elle rajoute...
Tu parles!
Si j'avais du ne jamais abandonner parce que j'ai des amis, valais mieux que je ne participe à aucune compet dans ma vie!

Mais Laouen est comme çà. Don't give up. Never!
Un jour, lors d'une compet de cyclocross (50 min) mes freins ont bloqué les 2 roues 10 min, même pas, après le départ (trop de boue, freins inadaptés).
Et là, Laouen la têtue a fait quoi?
Ce n'était pas de l'obstination, c'était RIDICULE. Mais never give up, oh non... J'ai porté mon vélo pendant 40 minutes.
Je NE PEUX PAS abandonner.
Je le ferai uniquement si ma vie est en jeu (malaise), mais pas parce que j'ai mal aux pieds, pas parce qu'ils sont en sang!
Quand on court dans les bourbiers, l'eau boueuse rentre dans les chaussures, avec des petits graviers, et de la boue.
Tout ceci forme une espèce de "pâte à roder". Pour ceux qui ne connaissent pas, c'est une espèce de pâte qui sert à roder les soupapes (à  poncer quoi!)
Dans les chaussettes trempées et recouvertes d'une couche épaisse de boue, les pieds sont poncés, poncés... par la boue, et par le gravier.
Ampoules, perforations des ampoules, etc.

Se plaindre, gémir?
Pas devant le cycliste!
Et puis quoi! JE SUIS LA POUR MON PLAISIR! je ne vais pas me plaindre!
D'autres abandonnent, parce qu'ils ont des raisons de le faire, le corps, l'esprit n'en peuvent plus. Devant la maladie, l'adversité, la douleur, l'ennemi...
Moi, je cours, c'est un loisir, un bonheur, je ne peux pas abandonner!

Pas avec, dans le sac, le caillou de P'tit Troud mon fils, ramassé lors de sa sortie scolaire de 3j près de Poitiers.
Là où des milliers de personne n'auraient vu qu'une pierre cassé, moche, il a vu un coeur. Et il m'a dit:  j'ai ramené un cadeau! (l'argent était interdit pour les souvenirs)
Il me l'a montré, et immédiatement j'ai vu un coeur aussi.
Pas avec, à même la peau, le maillot de Minimoi ma fille!
Je suis ridicule! Je porte les couleurs d'un grand club de course breton, et je me traine..
Pas en pensant à tous ceux qui souffrent VRAIMENT.

Alors, je vais marcher, marcher...
A 2 ou 3km du but je double un autre marcheur, il n'en peux plus. Je trotte doucement, dans les descente, et sur le plat (j'ai du mal). Je marche dans les montées.
Les derniers rubans, le dernier talus avant l'entrée sur la piste du stade. Le cycliste est resté avec le dernier, alors là, je craque (un peu). Un gémissement, les yeux qui se remplissent de larmes. Les nerfs lâchent.
Je n'ai pas regardé ma montre, pour ne pas me faire mal.

Allez Laouen, remets toi à courir, allonge, allonge... En boitant je file jusqu'à la ligne. Sourire, toujours!
Galette saucisse, à l'année prochaine, promis juré, je vais m'entrainer!
Le gars que j'avais en point de mire a retrouvé sa femme, qui a couru plus vite que lui. Ils sont du Nord, du vrai, et me disent: venez courir le trail des Poilus dans les tranchées, si vous aimez la boue!
Sourire... çà doit être super, et on doit être si bien reçu! Le Nord, si vous saviez... Tain... Vous y allez, vous ne voulez plus en partir!
Kôa?
Non, je n'ai pas abusé du film "bienvenue chez les Chti" :) C'est vrai, 100% vrai!
Kôa?
Il pleut dans le Nord? Il fait froid?
Mais c'est une bénédiction, quand on court!

Quand on s'arrête de courir, après 4h10 (j'ai honte), çà fait encore plus mal.
Finalement, si on enlève 10min pour les 2 ravitos, j'ai fait mes 4h. Je suis honteuse, mais je n'en mourrai pas.
Je remercie tout le monde, et repars, d'un pas lourd et boiteux, vers ma voiture.
Je remercie le ciel aussi. Merci, un milliard de fois merci! Sans la bruine, sans la boue, je n'aurais pas pu finir.
Don't give up, version 35 degrés plein soleil?
Même là j'aurais terminé. En 5h peut être, marchant tout le long, mais terminé.
Et puis hein, mon chef il le sait, 35 degrés, c'est rien.
Samedi dernier, à 8h13, il faisait 48 degrés à Basra...

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Commentaires
D
Trop crevée après t'avoir lue, alors juste une bise.
J
Ben fidèle à toi même Laouen tant mieux ! Attention quand même à ta santé tu as des visites de contrôle de tes poumons au boulot ?<br /> <br /> Sinon j'ai entendu aujourd'hui une offre d'emploi pour un poste en Alsace ou il est recommandé d'avoir des connaissances en programmation numérique des machines c'est un CDI 35h...AU cas ou
L
Bruno, je peux te dire qu'à mon niveau ce n'est pas "collectif" du tout, puisque je suis loin derrière! :-))))<br /> enfin bon, j'avais quelqu'un à 20 secondes devant toute la course, c'était "presque" du collectif!<br /> Et un vététiste avec moi.<br /> Pfffff... la foule quoi!<br /> J'adore ton "presque" :)<br /> Bonne journée à vous tous!
B
Félicitations. Moi qui n'aime pas les trucs collectifs, ça me donnerait presque envie d'y aller. (Presque!). En plus tu racontes cela très bien.
Y
Toujours en train de caracoler seule en dehors du Pack!<br /> <br /> Très vite, c'est la gadoue. l'argile latéritique n'aborbe rien. Golgoth nous a sorti de la ravine, il balaie large, relance Arval en éclaireur, tire des bords. Mais il n'évite pas la mélasse qui s'accumule sous nos crampons. La pluie s'intensifie. Le vent accèlère comme prévu. On s'englue dans la glaise...<br /> <br /> "Mais vous allez où comme ça?"<br /> "Plus haut"<br /> "Mais bordel de Dieu, vous êtes qui?"<br /> "Laouen!"
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