vers la lumière...
Samedi 5h45. Je me lève.
La grande majorité de mes lecteurs ne comprendra pas. Je me lève en semaine à 3h30, et voilà que le samedi, je remets çà...
La grande majorité de mes lecteurs prendra encore cette envie de longue marche pour un défi perso, une tentative d'exploit physique, une connerie monumentale pour quelqu'un qui bosse en 2/8 et qui devrait se reposer le week end.
Bah oui. Mais et la vie dans tout çà?
La vie, je ne la bouffe pas, je ne la prends pas à bras le corps pour lutter avec. La vie je la prends dans mes bras, et nous promenons ensemble. Même si parfois, comme hier, ces promenades me laissent, au retour, couchée par terre pendant une heure sans trouver le courage de me relever, brisée par la souffrance.
Je voudrais, un jour, marcher 24h sans m'arrêter. Je crois bien que je ne le pourrai jamais.
Hier, j'ai marché 13h, dont 5h bien au delà de mes limites. Et quand je suis rentrée, j'ai regardé mes pieds. Pas d'ampoules (j'avais changé mes chaussures de rando, pour de simples baskets très souples à mi parcours) mais la plante des pieds était très gonflée, rouge foncée, et bouillante.
Dans ces conditions il est impossible de marcher. Je commence à souffrir à partir de 6h de marche, et à partir de 8h c'est un calvaire.
S'arrêter 10 minutes ne sert à rien (sinon à reposer les cuisses), car le pied est encore plus douloureux quand je repars.
Bref, à me lire, vous allez vous poser des questions sur ma santé mentale. Alors je préfère ne pas raconter ma balade en détails. Je ne vous parlerez que du bonheur. Et du bonheur, sur 60km de balade, il y en a eu.
Hier, je suis partie à pieds, de chez moi, à 6h40. Je suis revenue chez moi à 19h40. 13h...
Hier, la météo prévoyait, sur mon canton, -1 degré à 8h. A 6h40 il devait faire encore plus froid, mais curieusement le froid s'est accentué par la suite, au lever du jour, avec le réveil du vent de Nord Est, assez fort.
A 6h40, la lune, dans son premier quartier, est absente. Cachée plus loin. Le ciel est garni d'un nombre infini d'étoiles, mais qui ne suffisent pas à permettre la marche sans lumière. Même les lumières des villages voisins, qui polluent la nuit, ne le permettent pas.
Dommage... Mais çà me fait sourire. Je voulais marcher sous la lune, et bien... je marcherai toute la journée, et ce soir elle sera là.
Je suis donc partie en allumant ma frontale, car en forêt, les étoiles n'éclairent pas vraiment. :-)
Ma frontale, d'après les sites de rando, est une bonne lampe, mais qui ne permet pas réellement la marche de nuit. On voit les 2 mètres devant soi, mais droit devant, rien. Allez donc repérer un balisage avec çà!
Des balisages, il n'y en avait pas sur le parcours que j'ai pris.
Je l'ai allumée en version minimum, histoire d'éviter de me tordre une cheville, c'est tout.
La faible portée de la lampe crée des phénomènes lumineux étranges. L'angle du rayon de lumière, associé au mouvement, fait galoper certaines ombres à ma rencontre. Les branches de châtaigniers se jettent sur moi à grande vitesse, telles des chevaux fougueux, et les tiges des herbes semblent vouloir me transpercer. Les grands pins restent tranquilles: vu la faiblesse de la lampe, ils restent dans le noir.
De quoi terrifier ceux qui ont peur du noir, et de la solitude... C'est réellement surprenant.
Mirages d'ombres, impression de mouvement partout autour, alors que rien ne bouge.
Moi, je souris.
De temps en temps, une hulotte pousse son cri, et j'aime écouter les chouettes.
De temps en temps aussi, un merle encore endormi se réveille, dérangé par mon passage, et décolle. Je ne le vois pas, mais je sais que c'est un merle. Je sais reconnaitre le son de son envol. L'un d'entre eux poussera son gloussement caractéristique, le cri du merle énervé en alerte, qui confirmera ma pensée.
D'autres bestioles bougent... La forêt vit aussi la nuit.
Je n'ai pas peur du noir, ni de la solitude, ni de cette masse immense d'arbres autour de moi.
Pourquoi en aurais je peur? Le noir fait partie de la vie, la solitude ne doit pas nous effrayer, cela reviendrait à dire que nous nous faisons peur nous même. Et la forêt... J'y suis si bien.
Je marche plein Est. Ne voyant pas vraiment où je vais, même si je connais très bien ces sentiers. Dans le ciel, parmi les étoiles, l'une d'elles semble 10 fois plus grosse et donc plus lumineuse que les autres. Je ne connais rien aux étoiles, dommage. A 6h30, elle est situé plein Est, ou légèrement Est Sud Est, le ciel est si infini que la direction peut être trompeuse. Logiquement, çà doit être Vénus, donc, ce n'est pas une étoile :-))
Elle est le soleil de la nuit, le guide.
Je ne regarde plus où je mets les pieds, je marche les yeux dans le ciel.
A 7h30, du moins à peu près (qu'importe l'heure, je ne la regarde pas) je débouche sur un large chemin d'exploitation, très dégagé. Face à moi, l'étoile.
J'éteins la frontale.
Au loin, le noir est bordé d'une frange de certitude: le jour arrive. Il marche à ma rencontre.
Je ne suis plus le chemin, c'est le ciel qui est mon guide.
Moment intense, de silence et d'émotion. Je voudrais pouvoir un jour marcher vers le jour sans que rien ne me cache sa venue, ni arbres, ni collines. Le désert plat, ce serait l'idéal.
Le froid est intense, mais je suis bien. Je sens par contre la fatigue qui est là, pas remise du tout de ma semaine de travail.
J'arrive à l'étang. J'aime l'odeur de la nuit, le bruit de l'eau quasi invisible.
Sur la droite commence un sentier tortueux en pente raide, dont le début est marqué par cette pierre:
Photo prise de nuit, sans flash, simplement en rallumant ma frontale en éclairage minimum.
Le coin est parsemé de petites "chapelles" naturelles, fleuries, avec des statues de la Vierge. Tout ceci me fait sourire, et je vous en parlerai un peu plus loin dans le récit.
Il m'arrive souvent de penser, que plutôt que de se donner bonne conscience en multipliant les "bondieuseries" de plus ou moins bon gout, les gens du coin devraient plutôt s'ouvrir un peu aux autres, et ne pas juger ni mépriser l'étranger (celui qui n'est pas né dans le canton) ou celui qui ne vit pas comme eux. Hallucinante, la mentalité des gens du coin, çà me désole. Heureusement, ce n'est pas le cas de la totalité des habitants du village, mais bon... Nous n'avons pas la même définition du mot "Foi", et encore moins de celle du mot "Amour".
D'ailleurs çà me rappelle encore une fois ce discours d'un homme d'Eglise entendu en Suisse (discours en italien) qui expliquait que l'Eglise s'était fourvoyée, ne réclamant aux fidèles que d'être croyants, et ayant totalement rayé de son dico le mot "Amour".
Si les croyants aimaient un peu plus ceux qui les entourent, la vie serait plus respirable... Et l'Eglise n'en serait pas où elle en est, avait il dit.
Le sentier est jalonné de pierres dressées gravées, les stations du chemin de croix.
Je marche au milieu des bruyères d'été fanées, et des ajoncs piquants. Chemin de bonheur.
Je marche "à la sensation". C'est l'unique but de cette balade. Sans chrono, sans feuille de route stricte. La sensation, le partage avec la nature.
Vers l'Est, la frange de certitude s'affirme, et se borde de rouge.
Certains doivent penser, que durant ces marches, je suis en pleine méditation transcendantale, ou autre élévation philosophique.
Il n'en est rien.
Le ciel me montre la voie, mais mes pieds sont sur terre.
Ce matin, comme à chaque fois que je pars marcher, je suis intensément sur terre. Les sens aux aguets, éveillée à 100%. Dans les sens: être en éveil, ressentir au maximum.
Je respire à fond, je goute chaque parfum, ressens chaque son, me nourrit de chaque image.
Il n'y a rien de transcendantal là dedans. Je suis dans la nature, je suis la nature, simplement un animal parmi les autres, un être vivant enfin retourné à sa place.
Parfois, je souris en pensant que certains se compliquent énormément la vie en cherchant des réponses à des questions qu'ils ont eux même créées.
Mon équilibre, il est là, au milieu de la nature, et je goute au bonheur de savoir voir, entendre, sentir...
Voir, voir vraiment. Pas survoler.
Le jour joue à cache cache entre les pins. Quand je traverse un champ, je le surprends.
Où donc se lèvera exactement le soleil? J'attends ce cadeau.
Petit à petit, les étoiles se sont "éteintes" une à une. Seule demeure l'Etoile, celle de l'Est, avec qui je danse depuis mon départ.
Le soleil ne va pas tarder, je le sens.
En zoomant fortement sur le haut du moulin, j'arrive à photographier l'étoile.
L'appareil déteste les photos zoomées, surtout en très faible lumière. Je raterai aussi, plus tard, tous les contre jours, les rayons de lumière dans la pinède. Même en calant l'appareil contre mon oeil et en bloquant la respiration, rien n'y fait. Il n'aime pas les faibles lumières.
Ce n'est qu'un appareil... Il ne sait pas que les faibles lumières sont les plus merveilleuses...
Vous voyez l'étoile? Mon écran est si mort que je ne vois rien du tout.
Si quelqu'un, qui s'y connait en astro, pourrait me confirmer son nom, merci. çà doit être simple: quelle est la dernière "étoile" à s'éteindre dans le ciel, vers 8h15, le matin, aux alentours du 20 octobre? Je sais que Sirius est l'étoile la plus brillante du ciel, mais celle ci est la plus grosse, et brille bien plus fort!
Et je rigole... Moi, guidée par l'étoile du Berger... Moi qui était née pour être bergère, là haut, dans mes montagnes chéries...
Je traverse une friche. Un pissenlit solitaire me tend sa boule plumeuse.
Le flash a du se déclencher, il est trop net pour être pris en lumière naturelle!
Le vent ne s'est pas encore levé, et le pissenlit attend.
Alors je le cueille, et je le souffle... J'aime cette idée de remplacer le vent, un instant.
En reprenant mon souffle, une des graines emplumée entre dans ma bouche.
J'aurais pu recracher, mais non, je l'avale en souriant.
C'est idiot, mais çà aussi c'est une sensation. L'instinct, l'envie brute.
Oui, je suis un animal, et pour moi çà n'a rien de péjoratif, et les hommes feraient bien de réfléchir un peu là dessus.
Un jeune chevreuil craintif détale en me voyant... Je l'ai surpris. Pourtant parfois il m'arrive d'en contempler longuement. Ils me voient, mais ne me fuient pas.
La lande... Ici, la pinède a du bruler il y a longtemps. Il ne reste plus que des ajoncs, de la bruyère, des ronces, et des pins dispersés.
Le vent se lève, glacé. Je sais alors que le soleil va se montrer.
Ici, tout est torturé, rabougri, sans "beauté". Les ajoncs sont trop vieux, et n'ont que du bois mort, les arbres qui tentent de grandir sont tordus, les ronces recouvrent tout.
La vie fait ce qu'elle peut, et elle est belle.
La beauté est dans cet acharnement.
Même la silhouette du moulin reste dans la note "tragique". Imaginez cet endroit sous le déluge, ou dans un brouillard persistant.
Il s'appelle "les roches noires". Je ne serais pas étonnée que ce lieu soit un lieu de légendes terribles, un lieu plein de forces "négatives".
Bizarrement, je m'y sens bien.
Et logiquement c'est ici que le soleil se lève.
Je n'attends pas qu'il a rempli le ciel tout entier. C'est sa première lueur qui est un cadeau, le reste n'est que superflu.
Je replonge dans la pinède...
Au pied de la colline que surplombe le moulin, encore une chapelle en pleine nature. Des statues, des plaques, des fleurs.
L'appareil refuse de faire une photo nette, l'ombre il déteste!
Mais çà me fait sourire, car il s'en est bien sorti là haut, dans les ruines du moulin et parmi les ronces...
Le soleil ne se lèvera jamais sur ce petit coin où viennent prier les vieux du coin.
Chacun son truc, je respecte.
Mais au fond de moi je me dis qu'ils n'ont pas compris l'essentiel.
Là haut, dans les ruines du moulin oublié, au milieu des ruines de la pinède détruite, on est plus près du ciel.
Cette chapelle, comme toutes les chapelles, comme tous les édifices de culte, c'est un lieu fermé, ou certains se croient plus près de Dieu car l'espace lui est dédié, et surtout parce qu'il les rassure.
Là haut, comme au beau milieu du désert, au milieu de l'océan, n'importe où en fait, il y a le ciel.
Le monde entier est une chapelle sans toit, et donc ouverte sur Dieu.
Le moindre brin d'air, le moindre souffle d'air...
Et même: nous sommes nous même des chapelles...
D'un pas léger, je continue à marcher vers la lumière (je n'ose écrire "dans")...
Aujourd'hui, un autre rendez vous plein d'émotion m'attend. Avec un tas de ferraille rouillé qui m'a fait rêver pendant des années.
Je vais la saluer... Avant que l'on en fasse un musée. Heureusement pour elle.
300km pour un moment d'émotion.
Je vous en reparle ce soir, ou demain, ou...
Ainsi que de la suite de ma balade.
Bon dimanche