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face au vent-avel a benn
7 septembre 2007

l'étrangère...

Ce soir, réunion à l'école de P'tit Troud. Ecole privée je précise, ici nous n'avons pas le choix.
Nous accueillons une nouvelle directrice. Une très jeune femme qui semble fort sympathique.

Minimoi et moi, nous sommes dans un coin du préau. Personne ne nous adressera la parole de la soirée.
Quand je suis arrivée dans le village, j'ai tenté (sans insister) de prendre part aux conversations des mères. Peine perdue.
Ici, on est né dans le village, comme les parents des ces femmes et de ces hommes y étaient nés.
Alors, l'étranger, on a du mal à l'accepter, et encore plus, à copiner avec.

Sauf si l'étranger est riche, et participe activement à la vie de la commune.

Quand l'étranger est une étrangère, qu'elle vit seule avec ses enfants, elle est considérée comme une voleuse d'hommes certainement.
Quand, cerise sur le gâteau, elle n'a pas d'emploi et survit grâce aux minima sociaux, vous imaginez?
Quand, vade retro satanas, elle ne va pas à la messe le dimanche, et avoue ne pas avoir fait baptiser son enfant, c'est définitif: elle n'est pas fréquentable.

Si encore elle s'habillait convenablement, et marchait en rasant les murs... On l'oublierait presque.
On aurait le droit de l'empêcher de dormir quasiment tous les jours en faisant le bordel jusqu'à 3h du mat (mes voisins sont adorables... quand ils ne sont pas là), mais au moins, elle ne se ferait pas remarquer, et regarderait le bout de ses chaussures, honteuse.

Mais l'étrangère va souvent chercher son fils en tenue de sport, ou en treillis militaire, dans le village, çà choque.
Et parfois l'étrangère s'habille étrangement... Des robes à frou frou, à volants, qui semblent déchirées...
Toujours mal coiffée en plus!
On la traiterait bien de manouche, elle est bronzée, on voit qu'elle ne bosse pas et passe son temps à paresser au soleil.
Elle ne les juge pas. Ils vivent sur la même planète qu'elle, mais semblent pourtant dans une autre dimension.
Elle se sent... différente.

Cette après midi, l'étrangère avait relu un passage d'un livre de Hubert Reeves, au soleil, en laissant ses cheveux lavés non peignés sécher librement.
A l'heure d'aller chercher P'tit Troud, l'étrangère a enfilé un espèce de haut indien, très court sur le ventre, qui montrait bien le bronzage, et le piercing au nombril.
Ensuite elle a osé se parer d'un paréo, descendant sur les hanches, avec des franges, noué à la diable, mais qui ne montrait rien d'osé, trainant bas sur les mollets.

Mais cachez donc cette peau que nous ne saurions voir...

Pour ne pas en rajouter, elle n'est pas descendue de voiture pieds nus, mais a enfilé des sandales indiennes.

Devant l'école, les parents blablataient.
Quand l'étrangère s'est approché de la porte, sentant le monoï, il y a eu un grand moment de silence. Même les enfants se sont arrêtés de rire. Elle a vu la mâchoire des pères se décrocher et trainer par terre, celle des femmes se crisper.
Elle ne montrait rien, à part une tranche de ventre doré.
Mais tout autour, ils sentaient la lumière, c'est évident.
Elle avait l'air vivante, et à coup sur elle l'était.

Elle est repartie avec son fils, caressant le sol.

Une heure après, l'étrangère revenait à la réunion, vêtue d'une robe légère et volante, mais moins choquante qu'un paréo venant tout droit de Calédonie.

Personne ne lui a adressé la parole, et elle n'a pas cherché à s'intégrer dans un groupe, à quoi bon?

Avant de partir, une dame qui servait les boissons s'est approchée et lui a dit doucement (fallait pas que les autres entendent)

"Il fallait que je vous dise. Tout à l'heure, quand on est reparties de l'école à 16h45, ma fille m'a dit: elle est belle..."

J'ai souris.
Euh pardon, l'étrangère a souris...

La dame semble un peu moins coincée que ses copines... logique.
Je regarde sa fille, qui a un an de plus que P'tit Troud. Elle est bronzée, et a de longs cheveux blonds, une masse épaisse et emmêlée...
Elle est belle et lumineuse.

L'étrangère sans un mot, dit merci...

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Commentaires
E
Et c'est tout à votre honneur, par contre je ne m'empecher de penser au fait que ces rumeurs, aussi débiles soient-elles, peuvent nous ratrapper. En théorie, chaque individu est innocent tant qu'il n'y a pas de preuves de sa culpablité...la réalité est bien plus pathétique.
L
ce n'est plus de la résignation. en toute modestie, j'ai l'impression de vivre bien au dessus de tout çà.<br /> Ce que l'on raconte sur moi, je n'en sais rien, et si je le savais, lutter pour prouver la connerie de chaque phrase serait bien vain.<br /> il m'arrive parfois de lacher devant mes enfants (et les parents d'élèves) quelques mots à voix haute, avec un grand sourire, histoire de leur montrer que je ne suis pas dupe, et que je m'en moque bien.<br /> Rester soi même est l'unique solution, et c'est ce que je fais. Je me regarde rarement dans un miroir, mais il ne rougit pas, et moi non plus.<br /> le village, ce n'est qu'un condensé des gens qui m'entourent finalement. sur le blog c'est pareil: seuls restent ceux qui m'apprécient.<br /> et sincèrement, je ne vais pas changer pour racoler les autres.<br /> j'aime le partage, non la prosti*tution à travers les mots.
E
Une histoire si joliement contée, cependant votre résignation comme la mienne d'ailleur m'attriste. On laisse à mon humble avis beaucoup trop les gens nous inventer une vie à leurs convenances. Notez bien que ce n'est en aucun cas une critique car je sais tres bien que tot ou tard on fini par se dire qu'ils sont vraiment trop bête.<br /> Un roman? Avec quoi comme suite? <br /> A la vue des réactions des parents d'élèves, je dirais une chasse aux sorcières parce que les vaches ont donné moins de lait cette année, ou dans une autre époque, une etoile peinte sur votre porte ou encore les services de la DASS devant votre porte au petit matin.<br /> Les raisons? Des gens qui n'ont pas réussi à aller se coucher sans avoir au préalable téléphoné a leur cher(e) voisin(e) pour deblaterer des aneries, voir des enormités sur cette étrangère qui de doute façon n'est pas comme nous. Des gens qui ne peuvent s'empecher d'espionnés bien caches derriere leurs rideaux.<br /> Un jour se rendront ils seulement comptent du mal qu'ils peuvent faire et de ce qu'ils perdent à refuser la différence? Des gens que j'aime appeler "les biens pensants"<br /> La solution? Bien entendu, je ne la connais pas...rentrer dans le rang et se faire accepter en faisant abstraction de ce que l'on est? Certainement pas. Etre honnete avec soi-même est rester seul, ça me plait déjà plus, car au moins les miroirs nous renvoient une belle image.
M
C'est très chouette cette histoire. La prochaine fois, vient avec un chador ou un truc de chez Belphégor : On te causera sûrement. Bises
D
Belle et triste et ré-encourageante histoire, il est vrai, chère Laouen... <br /> <br /> Pouvoir dire "Minimoi et moi" est magnifique et tout le développement est une belle poésie de la vie quotidienne... L'universalité de la situation et l'arrivée de l'Etrangère me rappelle le beau roman-fable de Ramuz "La Beauté sur la Terre" : le connais-tu ?<br /> <br /> PS : j'ai dressé une "carte au trésor" pour entrer l'entrée dans les livres de Julien Gracq en long "commentaire" sous mon avant-dernier article (Loire/St-Florent-le-Vieil) et je t'invite aussi sur les rivages de l'Océan de Césaria Evora...
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