l'étrangère...
Ce soir, réunion à l'école de P'tit Troud. Ecole privée je précise, ici nous n'avons pas le choix.
Nous accueillons une nouvelle directrice. Une très jeune femme qui semble fort sympathique.
Minimoi et moi, nous sommes dans un coin du préau. Personne ne nous adressera la parole de la soirée.
Quand je suis arrivée dans le village, j'ai tenté (sans insister) de prendre part aux conversations des mères. Peine perdue.
Ici, on est né dans le village, comme les parents des ces femmes et de ces hommes y étaient nés.
Alors, l'étranger, on a du mal à l'accepter, et encore plus, à copiner avec.
Sauf si l'étranger est riche, et participe activement à la vie de la commune.
Quand l'étranger est une étrangère, qu'elle vit seule avec ses enfants, elle est considérée comme une voleuse d'hommes certainement.
Quand, cerise sur le gâteau, elle n'a pas d'emploi et survit grâce aux minima sociaux, vous imaginez?
Quand, vade retro satanas, elle ne va pas à la messe le dimanche, et avoue ne pas avoir fait baptiser son enfant, c'est définitif: elle n'est pas fréquentable.
Si encore elle s'habillait convenablement, et marchait en rasant les murs... On l'oublierait presque.
On aurait le droit de l'empêcher de dormir quasiment tous les jours en faisant le bordel jusqu'à 3h du mat (mes voisins sont adorables... quand ils ne sont pas là), mais au moins, elle ne se ferait pas remarquer, et regarderait le bout de ses chaussures, honteuse.
Mais l'étrangère va souvent chercher son fils en tenue de sport, ou en treillis militaire, dans le village, çà choque.
Et parfois l'étrangère s'habille étrangement... Des robes à frou frou, à volants, qui semblent déchirées...
Toujours mal coiffée en plus!
On la traiterait bien de manouche, elle est bronzée, on voit qu'elle ne bosse pas et passe son temps à paresser au soleil.
Elle ne les juge pas. Ils vivent sur la même planète qu'elle, mais semblent pourtant dans une autre dimension.
Elle se sent... différente.
Cette après midi, l'étrangère avait relu un passage d'un livre de Hubert Reeves, au soleil, en laissant ses cheveux lavés non peignés sécher librement.
A l'heure d'aller chercher P'tit Troud, l'étrangère a enfilé un espèce de haut indien, très court sur le ventre, qui montrait bien le bronzage, et le piercing au nombril.
Ensuite elle a osé se parer d'un paréo, descendant sur les hanches, avec des franges, noué à la diable, mais qui ne montrait rien d'osé, trainant bas sur les mollets.
Mais cachez donc cette peau que nous ne saurions voir...
Pour ne pas en rajouter, elle n'est pas descendue de voiture pieds nus, mais a enfilé des sandales indiennes.
Devant l'école, les parents blablataient.
Quand l'étrangère s'est approché de la porte, sentant le monoï, il y a eu un grand moment de silence. Même les enfants se sont arrêtés de rire. Elle a vu la mâchoire des pères se décrocher et trainer par terre, celle des femmes se crisper.
Elle ne montrait rien, à part une tranche de ventre doré.
Mais tout autour, ils sentaient la lumière, c'est évident.
Elle avait l'air vivante, et à coup sur elle l'était.
Elle est repartie avec son fils, caressant le sol.
Une heure après, l'étrangère revenait à la réunion, vêtue d'une robe légère et volante, mais moins choquante qu'un paréo venant tout droit de Calédonie.
Personne ne lui a adressé la parole, et elle n'a pas cherché à s'intégrer dans un groupe, à quoi bon?
Avant de partir, une dame qui servait les boissons s'est approchée et lui a dit doucement (fallait pas que les autres entendent)
"Il fallait que je vous dise. Tout à l'heure, quand on est reparties de l'école à 16h45, ma fille m'a dit: elle est belle..."
J'ai souris.
Euh pardon, l'étrangère a souris...
La dame semble un peu moins coincée que ses copines... logique.
Je regarde sa fille, qui a un an de plus que P'tit Troud. Elle est bronzée, et a de longs cheveux blonds, une masse épaisse et emmêlée...
Elle est belle et lumineuse.
L'étrangère sans un mot, dit merci...