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face au vent-avel a benn
12 avril 2007

Westweg 8 Glaswaldsee (3)

14 heures. Pantalon remonté jusqu'aux genoux, pieds nus. Le dos contre le Sapin (qui n'en est pas un), je ne fais rien.
J'espère retrouver mes affaires entières dans la Hütte.
Pour l'instant, je laisse le lac envahir celui de mes yeux. (rooo, c'est nul comme image).

Béatitude.
Le ciel est bleu, les sapins et autres conifères sont verts sombres, jusque là tout va bien.
L'eau est couleur café noir, le soleil chauffe, et les quatre con*nards d'à côté (une famille de thons) regardent leur camescope, à grand renfort de bande son. Musique relou, commentaires...
Je suis au dessus de tout çà, je suis au dessus de tout çà...
Saleté de calendrier, qui me fait partager le lac avec la meute propre au week end de Pâques. Je fais avec.

Un lézard frôle mon pied pansementé. Le con*nard d'à côté redouble de con*nerie...
Kôa je suis vulgaire? non, réaliste.
Cet endroit est habituellement un sanctuaire de silence. Moi, il me touche tant que je ne me vois pas y faire du bruit. Surtout avec l'amplification due à la topographie des lieux. Le moindre bruit me semble sacrilège. Et mes potes les canards vont se réfugier dans l'endroit le plus inaccessible du lac (il faut réfléchir 3 secondes pour y descendre).

Pas un geste. Les pieds étalés sur les racines nues de l'Arbre, je suis dans une autre dimension: celle justement qui épouse parfaitement le lac.
Quelque chose traverse le lac à la nage. Pas un oiseau, "çà" sort à peine la tête de l'eau, et çà nage la brasse. Une grenouille, ou un crapaud certainement. Je les entends toute la nuit, dès le crépuscule.
Personne n'a remarqué la bête. Pour cela, il faudrait "voir".

Près de la Hütte, je vois une légère fumée s'élever. Si ils comptent cuire une grenouille là dessus, va falloir souffler fort.
14h30: le vent se lève. Qu'y a t'il de plus fabuleux que le chant du vent dans les sapins?
Celui du vent dans les failles des falaises, en plein désert peut être? Aussi. Mais ce vent là, dans ces sapins là...
Un lac sous le vent, çà "porte". L'eau café noir frissonne de plus belle.

Un groupe d'une quinzaine de djeun's s'installe à ma gauche. Sac à dos, matelas mousse... naaan... Stoïque je reste.
J'entends un gémissement. Encore un qui croyait qu'il fallait descendre pour arriver au lac! Vu d'où ils arrivent, ils n'ont fait que monter.
Radio allumée, CD en route, musique atroce. çà promet.
J'ai oublié une précision essentielle: des poches latérales des sacs dépassent des bouteilles de bière.

Une nuit de plus ou de moins à ne pas dormir... Cette nuit j'ai écouté les canards, les râles d'eau, les crapauds, et j'ai aussi souffert des pieds, même allongée. Jambes brulantes, pieds en feu, obligée de me dévêtir malgré le froid, en pleine nuit.
Si ceux ci passent la nuit ici, je ne fermerai pas l'oeil.
Mais au fond de moi, je doute qu'ils aient le courage d'affronter le froid à même la plage!

Les quatre près de la cabane semblent plus calme que ceux ci. L'été, ici, çà doit être infernal parfois. Et dire que ce lac est un des plus méconnus de Forêt Noire!

440_glaswaldsee

La "plage" encore vide.
L'Arbre, mon frère,  c'est le conifère très droit que vous voyez à gauche.

442_westweg_glaswaldsee

Je ne marche, ou plutôt je ne caresse le sable de mes pieds nus, que pour aller de l'Arbre à l'eau, et de l'eau vers l'Arbre.
Parfois, à ras le sol, je regarde l'eau à travers les buissons de myrtilles.

443_westweg_glaswaldsee

Près de la deuxième cabane, en équilibre sur le lac, toujours close, les promeneurs sont transparents.
Ici, je ne marche plus dans les 3 dimensions habituelles.
Ni même "en élévation".
Je marche, immobile, "dans" la lumière. En "énergie", uniquement.

445_westweg_glaswaldsee
446_westweg_glaswaldsee

Forêt Noire, Schwarzwald, la mal nommée...
Je suis à l'endroit  précis où ce nom semble totalement déplacé.
Schwarz (noir) Wald (forêt)... Ici, le hameau le plus proche, à 3km, se nomme Glaswald.
D'où le nom du lac: Glaswaldsee (see=lac)
Glas: verre. Forêt de verre... Forêt de lumière, forêt de reflets, forêt de transparence.

15h. 6 des 15 jeunes déboulent soudain sur la plage, en caleçons de bain, poussés par les copains, et par les filles railleuses.
Les camescopes tournent. Un pied, un autre... Hurlements. Moqueries des autres. Z'ont qu'à y aller eux tiens!!
Les jeunes ne veulent pas passer pour des dégonflés. Ils ont déjà pas mal de bière dans le sang, çà aide.
Plouf, cris, quelques brasses, et ruée vers les serviettes, lourdes, chaudes. Ma serviette perso est un minuscule bout de coton fin. Pas envie de tenter l'expérience, vêtue de mon boxer et de mon soutiengorge...

J'immortalise la scène, une énorme sourire sur le visage

441_glaswaldsee

Tout à  l'heure, je testerai jusqu'aux chevilles. C'est absolument intolérable. De quoi mourir sur place, transformée en statue de glace.
Sans grosse serviette, et en dormant limite dehors, je renonce.
Par contre, çà calme les échauffements plantaires.
Si j'avais marché une semaine non stop autour du lac, au premier échauffement, plouf! terminé. Que voilà une bonne idée... Mes 24h non stop, j'ai bien envie de les faire ici un jour. Et je vous le dis: j'aurais la force morale d'y arriver.

16h. Je marche pieds nus, je grimpe sur les racines, je pose mes empreintes sur le sable plein de petits cailloux. Quel bonheur...
Mes pieds sentent la résine gluante, gluante comme de l'élastoplast fondu par les kilomètres et les frottements. Ils sentent le sable mouillé, l'eau noire, et le FRAIS.
Je vais aller jusqu'à la Hütte, vérifier si mes affaires sont toujours là.

Mes affaires sont là. Mais eux non.
C'est pas possible!!! On tournait un film? J'ai raté les caméras?
Allumer un feu, couper du bois, pour quoi? Faire chauffer le café?
Ah... Mais je pige maintenant pourquoi le gros pro a parlé d'étapes de 5km!!!
4h de prépa pour le café du matin, multiplié par 3 repas, çà donne 12h. 8h de sommeil. Déballer remballer les sacs. 2h.
Reste 2h pour faire les 5km, et dans la neige il faut bien çà...

Retour sur la plage. Les jeunes écoutent du foot à la radio. Je n'entends plus rien, car j'ai décidé de ne rien entendre.
Je regarde l'endroit exact où l'eau se mèle au sable, en un léger frisson.

448_westweg_glaswaldsee

Sur ces 3 petits rochers, des noms gravés. Comme sur l'énorme vaisseau de pierre face à la cabane. Mais qu'ont donc les hommes à ainsi vouloir graver leurs noms sur la pierre, sur les arbres, sur les murs?
Vanité... Bonheur d'être là, de le clamer au monde?
Mon nom, je l'ai écrit des milliards de fois ici, écrit dans l'air, en y respirant.
Et si je devais écrire quelque chose ici, ce ne serait pas mon nom...

L'un des jeunes file vers la cabane. J'attends deux minutes, pensant qu'il va seulement s'isoler pour satisfaire ce que vous savez. Mais non, je le vois tout près de la Hütte, il y entre.
3 minutes pour y aller d'un bon pas. Je dois faire le trajet en 30 secondes, peut être moins, logique quand on vit dans la dimension de la lumière non?
Il est reparti. Un groupe de jeunes se ramène, ils vont faire les cons sur le gros rocher, pas rassurés par l'instabilité de la pierre. Bah oui, elle ne bouge pas la pierre, mais elle est tout sauf plane, et tout autour l'eau noire est profonde.
J'entends le jeune qui a visité la Hütte dire aux autres: elle va dormir ici.
Ils sont venus vers le rocher avec une canette de 50cl, marcher 3min çà donne soif.

17h00. Le froid tombe. Ils partent tous.
Je reste seule, avec les canards qui reviennent, le calme enfin installé.
Je retourne vers l'Arbre. Pour vous le montrer en photo, entier, je dois me coucher au ras de l'eau et pourtant j'ai un grand angle correct sur mon numérique de base. Mais entre l'eau et l'Arbre, il y a si peu d'espace...

449_westweg_glaswaldsee

Pourquoi cet arbre qui au premier abord ne me ressemble pas (trop droit)?
Parce qu'il est un peu isolé des autres.
Parce que sa droiture, c'est désormais mon regard.
Parce qu'il est tout près de l'eau, parce qu'il a poussé sur le sable. Pour çà:

451_westweg_glaswaldsee

Parce que le temps a ravagé ses fondations. Parce qu'il a ses racines à nu, que tout le monde peut les piétiner. Parce que ce ne sont pas ses racines qui manquent, mais ce dans quoi il était enraciné.
Parce que malgré ce vide, il tient.
Parce qu'un jour, comme le grand sapin à 50m de là, il se brisera. Un grain de sable emporté de plus, un de trop. Un coup de vent de plus, un de trop.
Parce que le sable n'est que du sable, et que l'on bâtit tous notre vie dessus.
Parce que quand le sable s'en va... Il faut savoir vivre sur le vide.
Parce que comme lui...
Parce que j'ai su réapprendre à vivre. Brisée. Mais droite.

Fin de la "séquence couic dans la gorge"...

Les canards viennent nager tout près de moi. La lumière décline fortement.

459_westweg_glaswaldsee

Madame, suit monsieur
Et la cane solitaire, qui s'est approchée si souvent de moi. (soeur de solitude?)

458_westweg_glaswaldsee

J'ai vu tout près le bleu de son aile... Et elle nage dans la lumière.
Assise contre l'écorce, un buisson de myrtilles à ma gauche, je rigole en prenant mes pieds en photo.
Mes chaussures ont vécu, elles gardent une auréole blanche, les crochets des lacets sont polis, le cuir éraflé. Maintenant, elles ressemblent à des chaussures de marche, mes tortureuses de pieds!!

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Et voici mon pied droit: (pour le gauche, rajoutez du pansement autour du petit orteil)

454_westweg_glaswaldsee

Désolée: aucune photo de mon ampoule crevée sur le côté du talon, puisque là vous ne voyez que le côté interne. Par contre, regardez la plante des pieds. Vous voyez l'éosine qui dépasse? Bah là dessous, à un moment, ce n'était qu'une espèce d'ampoule. Enorme, prenant toute la plante. Et pour tout vous dire, mon pied en plein échauffement plantaire, est couleur éosine, du centre du pied jusqu'au bout des orteils.
Le "sale" sur les pansements,  c'est aussi de la résine de sapin. Mais il est bien évident que je ne changeais pas mes élasto tous les jours, çà colle à la peau ces trucs là!! j'en mettais juste une couche propre dessus, de temps en temps. Quand je les ai enlevé, dans le train Paris-Rennes, j'ai perdu 500grammes. Mon pied pouvait enfin respirer, bouger librement, mais par contre, j'avais du mal à l'appuyer par terre.

Il se fait tard, j'ai envie de préparer mon repas à la lumière du jour.
Alors je me lève, pose mon front sur l'écorce, dit "à demain matin" à l'Arbre. Sur sa peau rugueuse, un lichen vert sapin ressemble à une mèche de cheveux

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Vers la cabane, le grand rocher flotte, irréel.

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Bientôt, il devient impossible de deviner la limite entre le reflet et la réalité.

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Le grand bâteau de pierre semble hésiter entre ombre et lumière.

461_westweg_glaswaldsee

Moi... j'ai choisi le lac au fond du lac.
Ou bien... le lac "sur" le lac?
Enfin... la lumière. Même au plus profond du noir.

Je vais me préparer le repas, et manger près de l'eau.
Je vais ramasser du bois mort, je sors ma hache, monte ma scie, remplis le réservoir à essence de ma tronçonneuse, démarre mon tracteur forestier, mets 20 secondes à monter mon réchaud de 80 grammes sur la cartouche de gaz de 270 grammes à moitié vide, et à l'allumer.

Damned!!!
Il me manque une scierie portative pour me tailler une allumette...

Demain...
Non. Maintenant. Demain sera demain.

La suite du récit en cliquant sur "ici"

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Commentaires
L
wahhh! génial!!<br /> les sentiers de rando vélo sont tout nouveaux, il n'y en avait pas lors de ma première balade là bas.<br /> Depuis, les panneaux foisonnent.<br /> Ils suivent le Westweg, sauf sur les pentes du Feldberg, ou quand çà devient trop étroit.<br /> En fait, d'après ma carte, je crois bien qu'il existe le Westweg version vtt, plutôt "accessible", et se rajoutent là dessus plein de petits circuits vtt plus hard.<br /> Je ne connais pas les sentiers dont tu parles.<br /> C'est une traversée vtt tandem?<br /> j'en ai souvent vu en compet, çà me sidérait. Car en compet, faut voir les circuits! pas du tout adapté aux tandems.<br /> <br /> Vous allez vivre deux semaines géniales. Septembre, c'est un super mois pour y faire du vélo
B
Je viens de découvrir ce blog en faisant des recherches sur le Westweg, pour préparer 2 semaines de tandem en septembre (la ce ne sera pas le Westweg, mais soit le Schwarzwald-Weg ou le Bike Crossing depuis Bâle).<br /> <br /> Ben c'est bon la je suis tout à fait convaincue ;-)!<br /> <br /> Merci pour les récits passionants et photos absolument superbes. Avec toujours une sensibilité qui me donne des frissons dans les dos, comme un appel à enfourcher le vélo, être les cheveux au vent et profiter...
J
Cet arbre tout droit contre vent et ... tempête ... avec ses racines à nu ... OUI ... il te ressemble et ton passage s'y rapportant m'a fait couic dans la gorge à moi aussi connaissant "ton parcours" ... Mais tu as relevé la tête, courageusement tu as affronté les épreuves et cette dernière t'a encore enrichie ! Bien belle fin que le départ de ces intrus du bord du lac ! OUF ... j'ai soufflé comme toi et ai apprécié le calme en ta compagnie ! Toujours ta pointe d'humour joyeuse ... un régal que ce chapitre !
M
:-)
W
*J'ai le soleil à mes pieds.*<br /> <br /> *Je marche, immobile, "dans" la lumière. En "énergie", uniquement.*<br /> <br /> *Il faut savoir vivre sur le vide.*<br /> <br /> *Maintenant. Demain sera demain.*<br /> <br /> Que veux-tu avoir de plus à apprendre ? Il n'y a plus qu'à (le) vivre
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