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face au vent-avel a benn
29 janvier 2007

Il suffira d'un signe...

Il suffira d'un signe
Un matin
Un matin pas du tout tranquille, ni serein...

Lundi 29 janvier 4h08
Je viens de me coucher, je ne peux pas dormir, je ne dormirai pas, du moins avant longtemps, alors j'écris.

Il parait que je viens de participer à mon cinquième championnat national de cyclocross. Il parait.
Comme dirait Mickey3D dans une vieille chanson: Je ne sais pas, je m'en fous, on ferait mieux d'aller tous boire un coup, et si la nuit, les chats sont gris, est ce que les petits pois sont rouges?
Non, je sais, et je ne m'en fous pas.

J'ai participé à mon cinquième championnat national. Pas comme j'aurais voulu le faire réellement, avec mes ambitions de cycliste, mais çà c''était dans une autre vie.
Cette année, j'ai participé. Intensément.

Il y a un an, jour pour jour, j'avais dit:
"l'année prochaine j'aurais 40ans le jour de la course, je serai championne de France".
Bien sur, vu le plateau prévu, c'était impossible. Mais je me serais entrainée pendant un an, dans ce seul but. Entrainée dur. Et j'aurais fait "quelque chose". Et çà aurait été beau.
La vie m'a rattrapée, jeté mon vélo au clou.
7 mois sans rouler DU TOUT, et un an sans forcer. ah bien sûr! on sait toujours pédaler, mais les muscles fondent, le coeur grimpe au premier tour de pédale, on perd TOUT. Sensations, forces, technique. Le moindre effort devient épuisant et dangereux.

Mais "ils" voulaient que je sois là. "Ils", ce sont les coureurs de mon équipe et certains du comité breton.
Alors ils ont monté un coup en douce, concocté un petit week end pour mes enfants et moi, acheté un cadeau utile.
Là n'est pas l'important.

Même si je n'avais pas couru, j'y serais allée. Avec eux, ou seule, dans l'épave qui me sert de voiture, ou en train, ou en stop, ou en vélo, mais j'y serais allée, pour EUX. Car:

A chaque fois que la vie me touche, je leur dis:
"je continue le vélo, non pas pour moi, mais pour certains d'entre vous, certains qui ne grimperont jamais sur un podium, et pour certains que je rêve de voir en bleu-blanc-rouge".
Pour leur valeur de cycliste, leur acharnement, leur travail, et aussi et surtout parce qu'ils le méritent, avec un grand M.
Car ce sont des grands, sur un vélo, dans leur tête et dans leur coeur.

Samedi soir au cours du repas, le hasard et mon chef m'ont fait assoir à côté de notre Champion qui podiuma (je néologise quand je veux etc) 4 fois sans jamais toucher la cime.
Et je l'ai dit encore une fois: "je continue le vélo pour certains qui sont assis à cette table, et un absent (mon ex chef de club adoré de 70ans encore sur un vélo).
Certains demandèrent: "des noms, des noms"! sourires.
J'ai regardé mon assiette sans répondre.
Citer des noms ce soir là c'était leur mettre la pression. J'ai déjà vécu çà près d'eux: le désespoir du perdant, pour lui bien sûr, mais surtout pour tous ceux qui l'attendaient tout en haut. Peur d'avoir déçu.
Comme si on lui en voulait! oh non, on était fiers.

Après la remise de mon cadeau d'annif, j'ai continué, l'émotion dans la voix, en ravalant ma phrase mais c'était trop tard, elle était dite:
"Mon cadeau pour demain, ce serait de voir...euh... certains... enfin... euh... etc avec le maillot".
A table, personne n'a demandé en rigolant "mais quiiiiiiiiiiii"?
Tout le monde, dont mon voisin de table qui se sentait visé comme si il avait un gyrophare vissé sur le crane avait compris.

21h30, tous au lit. Notre Champion qui perd aussi de ses moyens parce qu'il angoisse et se décompose au minimum 48h avant la course (pas taper si tu me lis :-))) est déjà blanc, on connait ce visage là. Esperons qu'il dorme.
Au p'tit dej, ambiance sérieuse et concentrée.
Personne n'ose seulement évoquer l'éventualité d'une victoire pour ne pas le presser. Il faut dire que le titre national est détenu par un Dieu  intouchable.

Quand j'écris le mot "Champion", je le pense un peu à la manière du Moyen Age: le chevalier défendant nos couleurs et nos valeurs, sur son destrier noir et blanc.
Sourire.
Et au moment où nous quittons la salle du resto, Goldman chante "il suffira d'un signe". Je frissonne.

Matin venté et glacé sur le sublime circuit de la ville de X, banlieue du 78.
Oh et puis crotte! Je le dis!
Nous avons couru aux Mureaux. NA!

Les Mureaux, pour ceux qui débarquent de l'espace, c'est une des banlieues les plus chaudes de France. D'ailleurs, il y brule souvent des voitures. Voilà la réputation du coin;
Nous en sommes revenus vivants. Fou non?
Nous n'avons pas été agressés ni détroussés par des hordes de barbares maures cagoulés. Fou non?
Quelques uns de ces sarrasins bronzés ont même discuté un peu avec nous au lieu de nous insulter ou de nous égorger. Inoui non?
Le nom d'un homme politique connu dont les initiales sont N.S a été prononcé. Naaaaaaaan.. c'est pas possible?
Ah... Les clichés.
Les Mureaux. Sa plaine couverte de champs cultivés, et soudain, là, au milieu de rien, un entassement hallucinant de tours, poussées on ne sait pourquoi. Là.
Pourquoi là, et pas à 2km, à 10km, ou même à 100m?
Comme si bizarrement on avait voulu les parquer là, en pleine brousse, sans barbelés, mais parqués.
Et ces gens là, loin de tout, on se demande pourquoi ils ont les dents qui trainent par terre?
Fin de la parenthèse...

Circuit magnifique et terrible, un espèce de terril du Nord. Organisation parfaite. Point barre. Merci. Bravo. On tord le coup aux clichés et on revient à la course.

Goldman chantait...
A 500m des tours, le terril à escalader en raclant la terre de nos dents.
En bas, paisible, un petit étang, des roseaux, plein de canards, et...
Un cygne.
Pas un blanc, un cygne beige, terne, avec le ventre blanc. Un juvénile de taille adulte? Je ne sais pas, et je m'en fous.
Il suffira d'un signe chantait Goldman: le cygne est là, c'est un signe.

Départ de la 1ere des 2 courses qui nous concerne vraiment.
Parti en dernière ligne, notre Champion doit cravacher ferme pour revenir au fil des tours. Il avouera: çà m'a donné la hargne.
Petit à petit il revient dans la roue du Dieu. Déjà, la Bretagne tremble, et on serre nos drapeaux boueux. Etre dans la roue de Dieu, c'est énorme, cela veut dire qu'il PEUT LE FAIRE.
Dans le regard de Dieu, s'installe un léger doute.
Notre Breton place une accélération foudroyante, et passe Dieu. La Bretagne vire au rouge, ne respirant plus. Je lache l'appareil photo, devenant superstitieuse: et si en appuyant, il tombait? Les photos sont là, dans ma tête.
2 tours, l'écart se stabilise à 100m, Dieu pédale ferme. La Bretagne se retient de pleurer, les yeux rougissent fortement. Les spectateurs me regardent, ainsi que Minimoi ma fille qui hurle autant que moi. Personne ne sourit devant l'émotion.
Partout sur le circuit, la Bretagne crie, hurle, court, se pète les cordes vocales, double parfois des vélos à la course tant les ailes nous poussent.
Un tour, la Bretagne croise les doigts, ne rien dire, ne rien dire.. hurler quand il passe.

Vous ne pouvez pas comprendre. Nous sommes une famille, et TOUS nous attendons ce moment. Car aucun autre coureur n'a du bosser autant, le soir, de nuit, pour en arriver là.
Pour ... RIEN. Car pas d'argent à gagner ici;
Pour ... TOUT. Tout le reste.

La ligne arrive. Là, la Bretagne se lache un peu, quelques larmes coulent, çà court de partout. Je peux enfin poser ce drapeau tout crotté de 4 championnats nationaux sur les épaules du Champion. Chut, ne rien dire, rester sobre, laisser souffler, besoin d'air.

Comme flottant en apesanteur, nous retournons tous vers les parkings. Au fil des mètres, la pression tombe, et le déluge commence. Pleurer comme çà c'est que du bonheur. Embrassades, on se serre tous dans les bras les uns les autres.
TOUS. Pour UN.

Pourquoi je vous raconte çà? çà doit vous paraitre si futile et puéril... Qui peut comprendre?
Autre course, autre podiums, trois des notres sont dessus, dont un tout en haut  pour la 4eme fois. Pour rien, ce n'est qu'une distinction honorifique, son grand age n'est pas récompensé par un maillot.
Nous ne pleurons plus. La Bretagne plane, heureuse.

Podium national pour le Champion. Pendant l'hymne, les yeux coulent encore, et le Champion a les yeux qui brillent.
Ensuite, tout au long de la journée, il ira parler à tous ceux qui l'ont encouragé. Tous, un par un, du plus vieux au plus jeune des gosses, avec un mot perso pour tous.
Un truc du genre: merci, je t'entendais crier, je savais que c'était toi même si la tête dans le cintre je ne te voyais pas.
Il y a une différence, un monde, entre les bourrins de concours sur deux roues et les Champions.
Un Champion reste humble, fier de lui, mais humble, il respecte et aime son public.
Donner, recevoir, on en revient là.

J'ai quand même une pensée émue pour le Dieu tombé de son ciel. Un immense Champion, que j'ai encouragé, qui ensuite m'a encouragé. Enorme respect Monsieur.
Le sport, vu sous cet angle, c'est magnifique: humanité, respect de tous, don du meilleur de soi.

Fin de soirée animée. La Bretagne chante. Le reste des convives sourit, le bonheur est contagieux. La joie des autres, cette  joie simple, rend immensément heureux. Si on sait s'interesser et aimer les autres.
Pas de bonheur intense, démesuré, violent, et.. fugace.
Non: un bonheur simple, comme ces gens, qui se déguste, qui réchauffe sans bruler. Et sans se consumer.
Un bonheur qui se touche, qui se serre, qui se goute à tour de bras, pas l'inacessible.
Notre Champion, oubliant sa timidité et sa réserve légendaire chante, de sa voie qui déraille complètement: la quête, de Brel.
L'inacessible étoile... Je souris, car c'est à mourir de rire vu l'ambiance, mais cette chanson... C'est LA chanson. Ma préférée de tout ce qui a été chanté et qui sera chanté depuis l'invention de la musique. Wow. ...

J'ai eu 40ans aujourd'hui.
Ni discothèque, ni plan d'enfer, ni grand repas, ni bringue folle, ni grand tralala, ni paraitre.
Mes enfants qui couraient partout, leur sourires. Ces gens là que j'apprécie et qui m'apprécient, leurs sourires.
En me souhaitant encore une fois un bon anniversaire ce soir là, ils m'ont serré dans leurs bras et quelques uns ont dit sans copier sur le voisin: "profite de tes 40ans, çà passe si vite"...
Tout passe si vite.
Pas que les 40ans.
Profite de tes 40ans... Profite de tes 6 ans, comme de tes 70ans, profite de tes 28ans 307 jours 12heures et 56 minutes (au hasard!) profite de chaque seconde qui passe.. vite.

Certaines s'arrêtent.
Certaines ont le gout du bonheur.
Putain que ce gout là est bon...

Je ne serai jamais championne nationale.
Du fond du coeur, j'aurais donné 50 maillots nationaux gagnés à la sueur de mes muscles contre la journée d'aujourd'hui.

Merci

Lundi, 5h16, je pleure encore.

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appareil numérique bon à jeter!
dans la roue du champion sortant

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Le passage de la ligne.

Pour la petite histoire, nous attendons tous qu'il lève les bras.
Et là, sur le podium, la cloche sonne: elle annonce soit disant le dernier tour. Des ??? se lisent sur nos visages car on sait que la course est finie.
Alors il continue, la tête dans le guidon... Sur le podium ils réalisent leur erreur, mais trop tard. Adieu les bras au ciel et le sourire rayonnant.

Minimoi a raté toutes les photos du podium, l'appareil est hs.

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